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Corruption, du risque à l’opportunité

Date 28 février 2018
Type Articles

Le 1er février dernier, EH&A tenait une conférence sur la corruption et la nouvelle législation en la matière. Mise en contexte et retour sur les « bonnes pratiques » que les débats ont fait émerger.

La corruption est endémique : selon Transparency International, 6 milliards de personnes vivent dans un pays avec d’importants problèmes de corruption. Mais surtout, elle coûte cher : en 2013, Total est condamné à payer 398 millions de dollars d’amendes au Department of Justice (DOJ) américain [1]. Une belle somme mais ce n’est rien comparé aux 772 millions de dollars qu’Alstom devra s’acquitter en 2014 (l’équivalent du PIB d’une petite île du Pacifique) [2].

Source : Transparency International

Prises sous les feux croisés de la « dictature de la transparence » et d’une législation renforcée, les entreprises n’ont plus le choix : elles se doivent de mettre en place des outils de lutte contre la corruption.

Les entreprises soumises à la « dictature de la transparence »

Les statistiques sont sans appel : 75% des affaires de corruption ont pour origine une dénonciation. Les lanceurs d’alertes sont désormais les figures de la « dictature de la transparence » dans des sociétés où la revendication d’un droit à la connaissance est devenue une question politique fondamentale [3].

Si la figure du lanceur d’alerte n’est pas nouvelle (en 1939, déjà, Alfred Einstein adressait une lettre au président Roosevelt pour l’alerter sur les risques nucléaires), ils se sont récemment multipliés : qui n’a pas en tête les « affaires » Chelsea Manning et Edward Snowden ? La première fut condamnée en 2013 à trente-cinq ans de prison pour avoir transmis à WikiLeaks des documents militaires classifiés [4] ; le second a fui en Russie après avoir rendu public l’existence de programmes américains de surveillance de masse.

Edward Snowden [6]

Chelsea Manning [5]

Mais les Etats ne sont pas les seuls à faire les frais de lanceurs d’alertes ; les entreprises ne sont pas à l’abris. Une étude menée par le cabinet d’avocats Freshfields Bruckhaus Deringer auprès de 2 500 cadres révèle que 47% d’entre eux ont été concernés par un lancement d’alerte – soit comme whistleblower eux-mêmes, soit comme destinataires d’une alerte ou comme témoin d’un tel processus. Ainsi, en 2008, Hervé Falciani, ancien informaticien de la HSBC, transmet les noms de près de 9 000 évadés fiscaux à la justice française. De même, en 2009, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, est à l’origine du scandale du Mediator.

En 2016, c’est Veolia qui tombe sous le coup d’une enquête pour faits de corruption après qu’une plainte ait été déposée par un salarié. Celui-ci affirme que des rencontres auraient été organisées entre la direction du groupe France et des cadres de sa filiale roumaine Apa Nova, soupçonnés d’avoir versé 12 millions d’euros de pots-de-vin entre 2008 et 2015.

Les entreprises ne sont pas seulement sous le coup de cette « dictature de la transparence ». Les Etats renforcent progressivement leur législation anti-corruption.

Du FCPA à la loi Sapin II, des entreprises condamnées à payer l’équivalent du PIB d’un petit pays

Gare aux Etats-Unis ! Depuis 1977 et l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la justice américaine peut poursuivre toute entreprise soupçonnée de corruption dès lors que celle-ci à un lien, même mineur, avec les Etats-Unis. Et elle ne s’en prive pas. Rien qu’en 2017, 27 entreprises ont été poursuivies par le DOJ américain. Depuis 1977, les entreprises poursuivies par la justice américaine ont été condamnées à payer des amendes d’un montant total de 11 milliards de dollars [7].

Total des sanctions par années – FCPA [8]

En France, depuis novembre 2016, c’est la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, qui renforce la législation anti-corruption. Les entreprises concernées (environ 1 500 groupes de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros) devront mettre en œuvre une série de mesures, dont la mise en place d’un code de conduite et un dispositif d’alerte, pour prévenir et détecter des faits de corruption.

Prises en étau entre une opinion publique remontée et une législation renforcée, les entreprises ne peuvent plus espérer passer au travers des mailles du filet. Certes, être accusé de corruption porte fatalement un coup à l’entreprise. En 2014, Alstom est ainsi rachetée par General Electric dans la foulée de sa condamnation par le DOJ.

Les entreprises peuvent néanmoins surmonter un tel épisode en mettant en œuvre les moyens appropriés.

Pris la main dans le sac ? Pas de panique !

Tout d’abord, l’entreprise se doit de gérer la crise efficacement. Le maitre mot : « assumer ses responsabilités », surtout si le facteur intentionnel est démontré. Les messages diffusés aux parties prenantes doivent témoigner d’une attitude responsable et transparente pour protéger la réputation de l’entreprise.

L’entreprise doit surtout être proactive. Sans s’afficher comme coupable, elle a tout intérêt à déclencher immédiatement une enquête interne. Lorsque les résultats sont connus, il est important que les coupables – le cas échant – soient fermement et publiquement sanctionnés. L’entreprise a l’obligation de communiquer à chacune de ses étapes ; faire preuve de pédagogie – tant en interne qu’en externe – est essentiel.

Enfin, en sortie de crise, il est important que l’entreprise prenne le temps de tirer les leçons de la crise passée et de renforcer ses procédures – tant en matière de gestion de crise que de lutte contre la corruption.

La corruption doit devenir un avantage compétitif

Le renforcement des mesures anti-corruption doit cesser d’être considéré comme un fardeau. En s’alignant sur les standards européennes et internationaux, la loi Sapin II favorisera le renforcement de la confiance entre les citoyens, les institutions, les entreprises et les salariés. Elle permettra également de dissiper la mauvaise image des entreprises à l’étranger – la France a récemment été rétrogradée à la 31e place du classement « Doing Business » de la Banque mondiale.

En synthèse, loin des idées reçues et comme l’affirme Florence Schlegel [9]« plus on est clean, plus on est riche ».

[1] L’entreprise aurait versé des pots-de-vin à des intermédiaires afin de décrocher des contrats pétroliers et gaziers en Iran.

[2] Pour des faits de corruption en Indonésie, en Égypte, en Arabie saoudite, à Taïwan et aux Bahamas entre 2002 à 2011.

[3] Frederick Lemarchand, « Vers une dictature de la transparence : secret et démocratie », Éthique publique [En ligne], vol. 16, n° 1, 2014.

[4] Elle sera finalement libérée en mai 2017.

[5] Chelsea Manning, Instagram, 18 mai 2017.

[6] Roch Arène, « Edward Snowden lance une application de surveillance », CNET [en ligne], 26 décembre 2017.

[7] Stanford Law School, « Foreign Corrupt Practices Act Clearinghouse » [en ligne].

[8] Ibid.

[9] Avant de rejoindre Day One comme associée, Florence Schlegel a participé pendant plus de vingt ans à améliorer la mise en place de la conformité au sein des entreprises.